Les fabricants de caractères bois à Bressuire
J’ai rassemblé dans la collection de caractères en bois plusieurs fontes estampillées (sur tous les caractères contrairement à la pratique anglo-saxonne) du nom de différents fabricants, tous établis à Bressuire dans les Deux-Sèvres. Ce billet reflète l’évolution de ma recherche qui a débutée en 2011.
Cette recherche et les billets en faisant mention sont régulièrement mis à jour. Il n’est question ici que de raconter comment j’ai débuté cette recherche, depuis beaucoup de choses ont bougé (note du 30/03/2018).
Les marques
Je possède des fontes des fabricants suivants :
- Chabauty
- Ploquin
- E. Ploquin
- Constant Audebaud
- Henri Dureau
Marque de Chabauty, Bressuire
Manufacture Chabauty, à Bressuire. Probablement la première génération de fabricants à Bressuire, attesté dès 1848 (Chabauty-Moreau). Ploquin sur ses publicités se présente comme successeur de “Ancienne maison Chabauty-Ploquin, fondée en 1855”. Armand Chabauty fonde cette maison en s’associant au libraire-imprimeur Louis Moreau.
Marque Ploquin, Bressuire
Manufacture Ploquin, à Bressuire. Une des premières fabriques de Bressuire, antérieure à E. Ploquin. Il peut s’agir de la marque liée à la raison sociale Ploquin-Chabauty (quand le gendre de Armand Chabauty prend la main, vers 1866).
Marque de E. Ploquin, Bressuire
Manufacture E. Ploquin, à Bressuire. Gendre de Chabauty. Il m’est pour le moment impossible d’identifier le prénom derrière ce “E.”. Un Baptiste Ploquin était recensé comme fabricant de caractères en bois en 1881.
Un spécimen paru vers 1883 est disponible en ligne, il appartient aux collections de la bibliothèque d’Harvard.
Marque de Audebaud, Bressuire
Manufacture Constant Audebaud, à Bressuire, fondée en 1877. Ancien graveur de Moreau (associ de Chabauty), il reprend son affaire. Constant Audebaud à produit au moins un catalogue remarqué à l’Exposition Universelle de 1888. Concurrent de E. Ploquin.
Marque de Henri Dureau, Bressuire
Manufacture Henri Dureau, à Bressuire. Actif à partir de 1896 au moins (Dureau puis Dureau-Gillcart en 1896), famille active jusque vers 1960/70.
Premières recherches
Suite à la découverte d’une estampille sur un caractère isolé (Chabauty), puis des autres au fur et à mesure de mes acquisitions, l’enquête commence. D’abord dans ma bibliothèque (par une publicité, pas de Chabauty mais d’un autre fabricant de Bressuire, Audebaud) puis sur internet, je consulte également les bibliothèques numériques et les annuaires du XIXe siècle. Enfin je me renseigne sur place (par téléphone).
Internet
La première mention que je déniche concerne Audebaud, sur le forum de Briarpress. Quelqu’un cherche des informations sur ce fabricant dont il possède une fonte qu’il vient de numériser pour en proposer un revival en 2010 (qu’il appellera l’Audebaud !). C’est une variante d’une fonte que je possède, incomplète (achetée à la pièce…, en Angleterre justement). C’est une très belle police, de type Clarendon, mais plus « douce », plus arrondie (voir aussi Luc Devroye une mine sur la typographie).
Les spécimens
Bien entendu se pose la question de savoir si il existe des catalogues de spécimens de ces fabricants.
Le Worldcat me donne un résultat pour un spécimen de la maison Audebaud (Constant), deux exemplaires sont signalés, l’un à la BU d’Amsterdam, l’autre à la Columbia Universuty Libraries (je n’ai pas réussi à en avoir une copie numérique pour le moment). Un Album-spécimens des caractères en bois de E. Ploquin, gendre et successeur de Chabauty-Ploquin, graveur a Bressuire (Deux-Sèvres) (le titre est déjà riche d’informations) est localisé à la bibliothèque d’Harvard (numérisé en 2019). J’en trouve aussi trace dans une référence de catalogue de vente publique.
Les publicités
Les publicités trouvées dans les annuaires et les revues spécialisées, en particulier les Chroniques de l’imprimerie, font état, à partir de 1880, d’une maison Audebaud, la publicité se complète d’une nota en décembre 1880 :
Audebaud, C., graveur, à Bressuire (Deux-Sèvres). Fabrique de caractères en bois, titres de journaux et d’affiches, mots séparés, réassortiment de caractères . - Nota. Ne pas confondre les pro-duits de la maison Audebaud avec ceux des fabriques mécaniques
Pour Ploquin, dans la même source et à la même période, il y a deux versions également :
Ploquin, E., à Bressuire (Deux-Sèvres). Fabrique de caractères en bois pour affiches, fantaisies et classiques, gravés sur bois durs ; fabrication mécanique, usine à vapeur. Envoi, sur demande, du spécimen complet.
Fabrique de caractères en bois pour affiches Ancienne maison Chabauty-Ploquin, fondée en 1855
E. PLOQUIN gendre et successeur à Bressuire (Deux-Sèvres) Outillage spéciale pour la gravure des caractères en bois de « fil à plat », rendant un travail parfait, que la main de l’homme ne peut produire et qu’aucune machine n’a fait jusqu’à ce jour. - Envoi sur demande de l’album complet USINE A VAPEUR Prompte livraison . - Expéditions en France et à l’étranger
La dernière occurence date de 1881.
Pour Henri Dureau, il existe une occurence qui le situe comme actif dès 1910 (et une carte de visite vue sur Internet fait remonter la maison à 1855, donc elle se donne pour héritière des Chabauty-Ploquin).
Les témoins
Je me décide à contacter un imprimeur de Bressuire, par chance, c’est un ancien… et il se trouve qu’il a connu le dernier des Dureau (décédé en 2011) et qu’il a encore acheté chez lui, dans les années 65-70, des caractères bois. Il ne reste pas trace ni de l’usine ni de témoins (à priori) de cette manufacture. Le conservateur du musée municipal de Bresuire qui s’intéresse également à cette histoire, ne dispose pas non plus d’informations.
Les techniques de production
Quasi aucuns éléments ne me permettent aujourd’hui de parler des techniques en oeuvre dans ces manufactures, excepté le contenu des publicités et l’observation.
La note de la publicité Audebaud nous en dit déjà long : d’un part la maison était concurrente de celle de Ploquin, et d’autre part elle met en avant le travail fait à la main. À l’inverse Ploquin vante une production mécanisée capable de graver « de fil à plat » avec un rendu « que la main de l’homme ne peut produire » (ici Ploquin répond par publicité interposée à la nota de Audebaud). Par « fil à plat » entendre dans le sens du fil et non en bois de bout, pourtant plus résistant ? (là encore cela pose des questions). Reste donc à creuser cette question des techniques de production.
L’observation montre en effet des traces de fraisage sur les bois de Ploquin, alors que ceux d’Audebaud semblent taillés ou tout au moins évidés à la gouge.
Conclusion provisoire
Nous avons donc entre la première mention – la publicité pour Ploquin qui cite la maison mère Chabauty-Ploquin et la fait remonter à 1855 – et les dernières productions des Dureau en 1970 une production qui s’étend sur plus d’un siècle en continu de fabrication de caractères bois en France dans une même ville, ce n’est pas Hamilton, mais c’est un beau score !
Il reste à continuer l’enquête, il me paraît évident qu’une telle entreprise a due laisser plus de traces.
Si vous avez des informations ou des caractères bois de ces fabricants, je suis preneur !